France – Rupture brutale d’un contrat international

17 juin 2024

  • France
  • Contrats

L’article 442-1.II du code de commerce (ancien article L. 442-6.I.5 °) sanctionne la rupture par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services d’un contrat écrit ou d’une relation commerciale informelle sans donner un préavis écrit suffisant. Au cours des vingt dernières années, cet article est devenu le fondement juridique régulier d’actions en réparation (jusqu’à 18 mois de marge brute et d’autres dommages) lorsqu’une relation commerciale ou un contrat prend fin (totalement ou même partiellement).

Par conséquent, tout commerçant (notamment étranger) qui contracte avec une entreprise (française) devrait essayer de ne pas être appréhendé cette règle (partie I) et, s’il ne peut pas, devra comprendre et contrôler sa mise en œuvre (partie II).

En bref :

Comment une entreprise étrangère peut-elle éviter ou contrôler le risque lié à la rupture brutale des relations commerciales fixée par la loi française ?

Les entreprises étrangères faisant affaire avec un partenaire français devraient :

  • conclure, dès que possible, un accord cadre écrit avec leurs fournisseurs ou clients français, même pour une relation très simple et;
  • stipuler une clause en faveur d’une juridiction étrangère (ou d’un d’arbitrage) ainsi une clause soumettant le contrat à une loi étrangère car, à défaut, elles seraient soumises aux tribunaux et lois français.

Comment une entreprise étrangère peut-elle maîtriser le risque lié à la rupture brutale des relations commerciales fixée par la loi française ?

Les entreprises étrangères faisant affaire avec un partenaire français devraient :

  • savoir que cette règle s’applique à presque tous les types de relations commerciales ou contrats, qu’ils soient écrits ou non, à durée déterminée ou non;
  • vérifier si leur relation/contrat est suffisamment longue, régulière et significative et si l’autre partie a légitimement cru en la continuation de cette relation/contrat;
  • donner un préavis écrit de résiliation ou de non-renouvellement (ou même d’une modification majeure), dont la durée tient principalement compte de la durée de la relation, indépendamment de la durée du préavis contractuel;
  • invoquer, avec prudence, la force majeure et la faute grave de la partie pour écarter la rupture brutale;
  • anticiper, en cas de préavis insuffisant, une indemnisation dont le montant est le produit de la marge brute mensuelle moyenne multipliée par la durée du préavis non accordé.

Comment éviter l’application de la règle française relative à la rupture brutale ?

Dans les affaires internationales, une entreprise étrangère doit anticiper, avant de résilier un contrat ou une relation commerciale, si cette relation / ce contrat est soumis ou non au droit français et, en cas de litige, si elle sera portée devant un tribunal français ou non.

Quelle sera la loi applicable à la rupture brutale ?

Il est assez difficile pour une entreprise étrangère d’anticiper correctement les règles de conflit de lois applicables à la rupture brutale. Dans un arrêt du 19 septembre 2018 (RG n°16/05579, DES/Clarins), la Cour d’appel de Paris a étendu, par référence implicite à l’arrêt Granarolo de la CJUE (07/14/16, N°C196/15), la qualification contractuelle à la plupart des relations commerciales ce qui améliore la prévisibilité et permet ainsi à une entreprise étrangère de tenter d’exclure le droit français et donc la règle relative à la rupture brutale.

Rupture brutale d’un contrat écrit ou d’une relation contractuelle tacite

Selon le Règlement Rome I (CE n° 593/2008, 17 juin 2008) sur la loi applicable aux contrats :

  • En cas de choix d’une loi étrangère par les parties : La clause prévoyant une loi étrangère applicable sera valide et respectée par les juges français (sous réserve des lois de police) à condition que le choix de la loi par les parties soit exprès ou au moins certain.
  • En l’absence de choix par les parties : La loi française sera probablement déclarée applicable au titre soit de la loi du pays où est basé le distributeur/franchisé, etc., soit de loi du pays où la partie qui doit fournir le service prévu par le contrat, a son domicile.

Rupture brutale d’une relation informelle

En cas de relation informelle (c’est-à-dire la plupart du temps, des commandes passées de temps en temps), les juges français retiendront la qualification délictuelle et se référeront au Règlement Rome II (n° 864/2007, 11 juillet 2007) sur la loi applicable aux obligations non contractuelles.

  • En cas de choix d’une loi étrangère par les parties : une clause de loi applicable correctement rédigée devrait être reconnue par un juge français à condition qu’elle vise expressément la responsabilité extra-contractuelle.
  • En l’absence de choix de loi par les parties : la loi française sera probablement déclarée applicable et pourra être celle de la loi du pays où le dommage survient (indépendamment du lieu du fait générateur ou de celui des conséquences indirectes) qui est le lieu du siège social où la victime française subit les conséquences de la rupture.

Rupture brutale, une loi de police ?

La position des tribunaux français est assez vague et insatisfaisante, et ce depuis longtemps.

Pour résumer : le Tribunal de commerce de Paris estime que la rupture brutale n’est pas une loi de police, la Cour d’appel de Paris (seule cour d’appel française compétente en la matière) n’est également pas en faveur de la qualification de loi de police au motif que le texte « protège des intérêts économiques purement privés » (CA Paris, pôle 5, ch. 5, 28 février 2019, n° 17/16475 / CA Paris, pôle 5, ch. 5, 8 octobre 2020, n°17/19893). Récemment, elle a réaffirmé que la rupture brutale des relations commerciales établies n’est pas une loi de police (Cour d’appel de Paris, 11 mars 2021, n° 18/03112).

La Cour de cassation n’a jamais explicitement abordé la question (loi de police ou pas). Certes la Cour de cassation a jugé dans l’affaire Expedia (Cass. com., 8 juillet 2020, n°17-31.536) que les dispositions de l’ancien article L. 442-6, I, 2º et II, d), sur le « déséquilibre significatif » (qui fait partie du même ensemble de règles que la « résiliation brutale ») sont des lois de police, mais cette qualification devrait être limitée à l’action spécifique intentée uniquement par le ministère des finances. De plus certains tribunaux pourraient être tentés d’invoquer les dispositions de la loi française n°2023-221 (30 mars 2023, aka Egalim III) pour qualifier la règle sur la rupture brutale de loi de police ; cependant ce texte (article L 444-1.A du Code de commerce) ne vise pas expressément la notion de loi de police et ne justifie en rien de retenir une telle qualification.

Par conséquent, si un tribunal français est saisi d’une demande de « rupture brutale », il existe toujours un risque que ce dernier exclut la loi étrangère applicable et la remplace par le régime résultant de la « rupture brutale » de l’article L 442-1. II. Toutefois, pour éviter ce risque, l’entreprise étrangère a intérêt non seulement à choisir une loi applicable étrangère mais aussi à prévoir que le litige sera porté devant un juge étranger ou un tribunal arbitral.

Comment éviter la compétence des tribunaux français sur une demande en réparation basée sur la rupture brutale ?

Cocontractant intra-UE et demande en réparation basée sur la rupture brutale

La décision de la CJUE (Granarolo, 14 juillet 2016, N°C196/15) a créé une distinction entre les demandes résultant de :

  • contrats-cadres écrits ou relations contractuelles tacites (existant uniquement si les éléments de preuve énumérés par la CJUE sont identifiés par les juges nationaux c’est-à-dire la durée de la relation et les engagements reconnus à chaque partie tels que l’exclusivité, le prix ou les conditions de livraison ou de paiement, la non-concurrence, etc.) : une telle demande a une nature contractuelle selon les règles de compétence juridictionnelle en vertu du règlement CE Bruxelles I bis ;
  • de relations informelles (c’est-à-dire des commandes passées de temps à autre) : une telle demande a une nature délictuelle selon le règlement CE Bruxelles I bis.

À noter : la loi 30 mars 2023 (dite loi « Egalim III ») n’a aucun impact sur les règles de l’UE en matière de clauses attributives de compétence.

(a) Quel est le juge de la rupture brutale d’un contrat écrit ou d’une relation contractuelle tacite ?

  • Une clause attributive de compétence au profit d’un tribunal étranger sera reconnue par les tribunaux français même si c’est une clause asymétrique (Cour de cassation, 7 octobre 2015, Ebizcuss.com / Apple Sales International).
  • En cas d’absence de clause de compétence, les tribunaux français sont susceptibles d’être compétents si le demandeur français qui introduit une action basée sur une rupture brutale est le prestataire de services, tel qu’un distributeur, un agent, etc. (affaire Corman Collins CJUE, 19 12 13, C-9/12, et article 7.1.b.2 du règlement CE Bruxelles I bis).

(b) Quel est le juge de la rupture brutale d’une relation informelle ?

  • Les tribunaux français peuvent donner effet à une clause de compétence en matière délictuelle en particulier lorsqu’elle englobe expressément les litiges délictuels (Cour de cassation, 1° Ch. Civ., 18 janvier 2017, n° 15-26105, Riviera Motors / Aston Martin Lagonda Ltd).
  • En cas d’absence de clause de compétence, les tribunaux français seront compétents à l’égard d’une demande basée sur la rupture brutale en tant que juge du lieu où l’événement dommageable s’est produit (art. 7.3 de Bruxelles I bis) qui est le lieu où la rupture brutale a effet c’est-à-dire en France si la victime est une entreprise française.

co-contractant hors UE et demande en réparation basée sur la rupture brutale

La solution Granarolo ne s’appliquera pas ipso facto si une victime française introduit une demande devant les tribunaux français basée sur une rupture brutale commise par une société établie hors de l’UE. Dans les relations hors UE, les juges français pourraient continuer à ne retenir que la qualification délictuelle (comme en matière interne). Dans ce cas, les tribunaux français peuvent retenir leur compétence en se basant sur le lieu où l’événement dommageable s’est produit. Une clause de compétence peut cependant être reconnue en France même pour les demandes fondées sur la responsabilité délictuelle.

Une clause de compétence au profit d’un tribunal étranger peut être reconnue en France (même pour les demandes fondées sur la responsabilité civile), à condition que cette clause de compétence soit valable en vertu d’une convention internationale bilatérale ou de la convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for. Dans le cas contraire, selon la loi Egalim III, une compétence impérative pourrait être reconnue aux tribunaux français.

Arbitrage et demande en réparation basée sur la rupture brutale

Stipuler une clause d’arbitrage ad hoc ou institutionnelle est probablement la solution la plus sûre pour éviter la compétence des tribunaux français. Idéalement, la clause fixera le siège du tribunal arbitral en dehors de la France. Selon le principe de compétence-compétence des arbitres, les tribunaux français se déclarent incompétents sauf si la clause d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable, quel que soit le fondement contractuel ou délictuel (cf. Cour d’appel de Paris, 5 septembre 2019, n°17/03703).

Conclusion : Les entreprises étrangères ne doivent pas laisser en suspens les questions de compétence et de droit applicable. Elles doivent négocier les clauses sans quoi la victime française d’une rupture sera en droit d’intenter une action pour rupture brutale devant les tribunaux français (voir la Partie 2 ci-dessous).

Comment maîtriser les règles françaises sur la rupture brutale ?

Lorsque le droit français s’applique, l’entreprise étrangère sera confrontée au régime juridique de l’article L442 -1.II du code de commerce sanctionnant la rupture brutale. En guise de remarque préliminaire, il est important de savoir avant tout que la mise en œuvre de la responsabilité pour rupture brutale découle du défaut de préavis ou d’un préavis trop court. Ainsi, ce régime ne prévoit pas de règle d’indemnisation automatique. En d’autres termes, dès qu’un préavis raisonnable est donné par l’auteur de la rupture, la responsabilité sur ce fondement peut être écartée.

Le prérequis pour la rupture brutale : une relation commerciale établie

Tous les contrats sont couverts par ce régime juridique à l’exception des contrats dont la réglementation prévoit un préavis spécifique (comme les contrats d’agence commerciale et les contrats de sous-traitance de transport de marchandises par route).

En premier lieu, il doit exister une relation pouvant être prouvée par un contrat écrit ou de facto par le comportement des parties. L’article L.442-1 II du code de commerce couvre toutes les relations « commerciales » et pas seulement les « relation contractuelles », de sorte que cette relation peut être fondée sur une succession de contrats tacitement renouvelés ou un flux régulier d’affaires matérialisé par de multiples commandes ce qui a été récemment rappelé par la Cour de cassation (Cass. com., 16 février 2022, n° 20-18.844).

En second lieu, cette relation doit avoir un caractère établi. Il n’y a pas de définition juridique mais cette notion a été définie année après année par la jurisprudence qui a posé un critère objectif (a) et un critère plus subjectif (b).

(a) Le critère objectif implique une relation suffisamment longue, régulière et significative entre les deux parties. La durée de la relation est le critère le plus important. La relation doit également être régulière, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas avoir été interrompue (trop souvent ou trop longtemps). La relation doit enfin être significative et représenter un flux d’affaires sérieux entre les parties, en volume ou en valeur.

(b) Le critère subjectif se concentre principalement sur la croyance légitime de la victime de la rupture dans la continuation du contrat / de la relation qui est basée sur des éléments factuels tels que les demandes d’investissement, les budgets sur plusieurs années, etc. En revanche, c’est sur la base de la constatation d’un manque de croyance légitime dans un avenir proche que la partie qui rompt la relation peut prouver l’absence de caractère stable lorsqu’elle a par exemple recouru, à plusieurs reprises, à un appel d’offres (sauf s’il s’agit d’une ruse).

Anticiper une réclamation pour rupture brutale

(a) La rupture peut être totale ou partielle

La rupture totale se matérialise par un arrêt complet des relations, par exemple, la fin du contrat, l’arrêt de l’envoi de commandes par l’acheteur ou l’enregistrement de commandes par le fournisseur.

La Cour de cassation a récemment rappelé qu’une baisse significative des ventes avec un partenaire doit être considérée comme une rupture partielle de la relation (16 février 2022, n° 20-18.844, cité ci-dessus). Mais la situation la plus compliquée à gérer est la rupture partielle déduite d’une modification d’éléments qui impacte partiellement (mais substantiellement) la relation mais ne la réduit pas à néant (par exemple : une augmentation ou une diminution des prix, un changement des conditions de paiement ou de livraison).

(b) La rupture doit être soumise à un préavis écrit et raisonnable

Le préavis doit être notifié par écrit. L’absence de préavis écrit constitue déjà une rupture en soi. La notification doit clairement refléter la volonté d’une partie de rompre la relation en tout ou en partie. La notification doit également indiquer la date à laquelle la relation prendra fin.

Ainsi, une ambiguïté sur la période de préavis (par exemple si la résiliation d’un accord est notifiée, tout en proposant de maintenir certains prix et conditions de paiement) est considérée comme un préavis insuffisant (Cass. com., 29 janvier 2013, n° 11-23.676).

Les parties doivent distinguer entre la lettre de mise en demeure pour manquement et la notification subséquente de la rupture avec mise en demeure (le cas échéant). Pendant la période de préavis, les parties doivent se conformer pleinement à toutes leurs obligations contractuelles.

Ce principe s’applique également aux contrats de distribution soumis à des règles françaises spécifiques imposant des obligations de négociation annuelles ou pluriannuelles. En effet, la Cour de cassation a jugé que « lorsque les conditions de la relation commerciale établie entre les parties sont soumises à une négociation annuelle, les modifications apportées pendant la période de préavis qui ne sont pas d’une importance telle qu’elles en compromettent son efficacité ne constituent pas une rupture brutale de cette relation » (Cass. com., 7 décembre 2022, n° 19-22.538).

Cependant, le fait de ne pas mentionner les raisons pour lesquelles la relation commerciale est rompue n’est pas une faute ou un manquement à la relation. En effet, les tribunaux français considèrent que « le fait que le motif invoqué pour mettre fin à la relation commerciale soit faux n’empêche nullement la partie de mettre fin à la relation commerciale » (Cour d’appel de Versailles, 10 juin 1999).

La durée du préavis à respecter n’est pas définie par la loi française qui n’a pas établi de règle précise jusqu’à la réforme de 2019. Bien que plusieurs critères soient énoncés par la jurisprudence, le critère le plus important est la durée de la relation. Les juges prennent également en compte la part du chiffre d’affaires réalisé par la victime, l’existence ou non d’une exclusivité territoriale, la nature des produits et le secteur d’activité, l’importance des investissements réalisés par la victime notamment pour la relation en question et enfin l’état de dépendance économique. La dépendance économique est définie comme l’impossibilité pour une entreprise d’avoir une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a établies avec une autre entreprise. La jurisprudence considère cela comme un facteur aggravant justifiant un préavis de rupture plus long.

Le délai de préavis minimum doit être notifié au moment de la notification de la rupture. Par conséquent, les événements qui affectent la victime après la notification, tant positivement (conclusion d’un nouveau contrat) que négativement (perte d’un autre client), ne seront pas pris en compte par le juge lors de l’évaluation de la « brutalité » de la rupture.

La durée du préavis donné par les juges est très variable. L’appréciation du préavis se fait au cas par cas. Il est très difficile de donner une règle d’or même si grosso modo pour chaque année de relation un mois de préavis peut être dû (à moduler à la hausse ou à la baisse en fonction des autres critères de la relation). À titre d’illustration, on peut citer quelques jurisprudences :

  • Cour d’appel de Paris, le 9 février 2022 : relation de 16 ans avec un préavis de 15 mois ;
  • Cour d’appel de Paris, le 20 janvier 2022 : relation de 12 ans avec un préavis de 8 mois ;
  • Cour d’appel de Paris, le 25 octobre 2022 : relation de 16 ans avec un préavis de 18 mois ;
  • Cour d’appel de Paris, le 23 février 2022 : relation de 17 ans avec un préavis de 11 mois ;
  • Cour d’appel de Paris, le 21 septembre 2022 : relation de 5 ans avec un préavis de 14 mois.

Depuis l’ordonnance du 24 avril 2019 qui limite à 18 mois maximum la durée du préavis raisonnable, si le préavis accordé par une partie est de 18 mois, elle ne peut être tenue responsable d’une rupture brutale. Mais une grande partie du contentieux reste incertaine car seules les relations d’une longévité exceptionnelle ou particulièrement sensibles conduisaient, avant 2019, à l’attribution d’un préavis supérieur à 18 mois.

Les juges ne sont pas liés par les préavis contractuels stipulés dans le contrat mais si l’auteur de la rupture viole également les conditions de rupture prévues par le contrat, la victime peut rechercher la responsabilité de l’auteur tant sur la base de la rupture brutale que sur le fondement de la violation d’une obligation contractuelle.

Cas où la rupture brutale est écartée

La loi prévoit deux cas et la jurisprudence semble en avoir imposé d’autres.

(a) Les deux exceptions légales sont la force majeure (très rarement consacrée par les tribunaux) et la faute de la victime de la rupture, la jurisprudence ayant ajouté qu’il doit s’agir d’une violation grave d’un engagement contractuel ou d’une disposition légale (comme le non-respect d’une exclusivité, d’une clause de non-concurrence, de confidentialité ou de changement de contrôle, ou le non-paiement de montants dus contractuellement).

Les juges ne se considèrent pas liés par la définition de la faute grave prévue par les parties. En tout état de cause, la partie qui résilie pour faute grave doit clairement le notifier dans sa lettre de résiliation. La faute grave entraîne un défaut de préavis donc si la partie qui résilie allègue une faute grave mais accorde un préavis, quel qu’il soit, les juges peuvent conclure que la faute n’était pas suffisamment grave. Cependant, la Cour de cassation a pu considérer que « même en cas de faute grave justifiant la rupture immédiate de la relation commerciale, l’autre partie reste libre de donner à l’autre partie un préavis » (Cass. Com., 14 octobre 2020, n°18-22.119).

La gravité de la faute doit être motivée par les juges dans leurs décisions. Dès lors, constater que le contrat a été rompu après deux mises en demeure n’est pas suffisant (Cass. com., 16 février 2022, n° 20-18.844).

(b) Ces dernières années, la jurisprudence a ajouté d’autres cas d’exonération de responsabilité. C’est le cas lorsque la rupture est la conséquence d’une cause extérieure à l’auteur de la rupture, telle que la crise économique, la perte de ses propres clients ou fournisseurs, en amont ou en aval.

Par exemple, en 2021, la Cour de cassation a jugé que « le partenaire commercial n’a pas droit à une relation inchangée et ne peut refuser toute adaptation requise par les changements économiques » (Cass. com., 01 décembre 2021, n°20-19.113). En effet, pour être imputable à un acteur économique, la rupture doit être libre et délibérée ce qui n’est pas le cas si la rupture est due à une situation économique.

En revanche, l’ajout d’une clause d’exonération de responsabilité dans un contrat visant à renoncer à échapper aux sanctions de l’article L. 442-1.II est sans conséquence sur l’appréciation du juge.

Les juges ont également exclu la rupture brutale dans l’hypothèse de la fin de la première période d’un contrat à durée déterminée, quelle que soit sa durée : le premier renouvellement d’un contrat constitue un événement prévisible pour la victime de la rupture ce qui exclut la notion même de brutalité mais dès lors que le contrat a été renouvelé au moins une fois, les juges peuvent ensuite caractériser la croyance légitime de la victime en un nouveau renouvellement tacite.

Indemnisation en cas de rupture brutale

Les juges n’indemnisent que les conséquences préjudiciables de la brutalité même de la rupture mais n’indemnisent pas, du moins dans le cadre de l’article L442-1.II, les conséquences de la rupture elle-même.

La règle de base est très simple : il est nécessaire de déterminer la durée du préavis qui aurait dû être accordé, de laquelle on déduit le préavis réellement accordé. Ce préavis net est multiplié par la marge mensuelle brute moyenne de la victime ou plus souvent la « marge sur coûts variables » (i.e. : le chiffre d’affaires moins les coûts disparaissant avec l’inexécution du contrat/de la relation). Le défendeur ne doit pas hésiter à demander les preuves comptables complètes en particulier pour identifier les taux de marge (inférieurs) ou même une expertise judiciaire sur ces éléments comptables. En général, l’assiette de la marge mensuelle moyenne est constituée des 24 ou 36 derniers mois.

L’indemnisation calculée sur la marge moyenne est, en général, exclusive de toute autre indemnité. Cependant, la victime peut prouver qu’elle a subi d’autres pertes consécutives à la brutalité de la rupture, telles que les licenciements directement causés par cette brutalité ou la dépréciation des investissements récemment réalisés par la victime.

Quelques conseils pratiques pour anticiper la rupture brutale

Bien que le régime juridique reste ambigu et la jurisprudence terriblement casuistique, ce qui empêche de dégager des lignes directrices solides, voici quelques conseils pratiques lorsqu’une entreprise envisage de mettre fin à une relation/contrat :

  • dans le cas d’un contrat à durée déterminée renouvelable par tacite reconduction, la notification du non-renouvellement doit être anticipée bien avant le début du préavis contractuel afin d’éviter de se retrouver dans une situation où il est nécessaire de choisir entre ne pas renouveler le contrat avec un préavis insuffisant ou accepter de voir le contrat renouvelé lui-même pour une nouvelle période ;
  • les équipes commerciales doivent être sensibilisées au risque de rupture brutale partielle lorsqu’elles modifient trop radicalement les conditions d’exécution d’une relation/contrat commercial ;
  • dans certains cas, il peut être utile d’envoyer un préavis de rupture avec une « proposition de préavis » afin de tenter de valider ce préavis avec l’autre partie ;
  • il peut également être utile, dans certaines relations, de notifier la fin de la relation avec des durées de préavis différentes en fonction de la nature des lignes de produits ;
  • Enfin, le meilleur moyen est de conclure un protocole de fin de relation fixant la durée du préavis ainsi que, le cas échéant, la baisse progressive des commandes, le tout dans le cadre d’un accord transactionnel par lequel les parties renoncent définitivement à toute réclamation y compris en cas de rupture brutale.

Le régime de la rupture brutale doit être pris en considération lors de l’entrée dans la phase finale d’une relation de longue durée : la manière dont le contrat (ou la relation de fait) est résilié doit être soigneusement planifiée afin de gérer le risque de causer des dommages au cocontractant et d’être poursuivi en réparation.

Christophe Hery

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